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Le streaming signe-t-il la fin du cinéma?

Le jeudi 3 décembre 2020, le géant américain Warner Bros a annoncé une nouvelle qui bouleverse le monde du cinéma. A partir de 2021, tous les films du studio sortiront sur la plateforme de streaming HBO Max le même jour que dans les salles, si tant est qu’elles soient ouvertes. Dix-sept films sont pour l’instant au programme, et la société ne compte pas s’arrêter là. Alors que la plateforme était disponible exclusivement pour les Etats-Unis en 2020, HBO Max s’ouvre désormais à l’international et sera disponible dans plusieurs pays d’Amérique Latine et d’Europe d’ici juin. La France ne semble pas être encore concernée, mais on peut envisager son lancement pour la fin d’année. Ces stratégies digitales sont un moyen de pallier la crise et permettent à l’industrie du cinéma de rester active tant bien que mal dans une situation complexe, mais elles ne profitent cependant pas aux salles de cinéma. Nous pouvons facilement imaginer que les sites de streaming illégaux vont s’emparer des films fraichement sortis aux Etats-Unis afin de les diffuser dans le monde entier. Les salles de cinéma françaises ont, selon une étude du Centre national du cinéma et de l’image animée, généré plus de 1.3 milliards d’euros de recettes en 2017. Alors que sur cette même année, la valeur du marché de la vidéo à la demande était de 485 millions d’euros et a doublé en 2019 pour atteindre 1 milliard d’euros, les salles de cinéma semblent plus que jamais faire face à une grande menace : le streaming, légal comme illégal.
Les plateformes de streaming et le cinéma :
Les services de streaming sont sans aucun doute sur le point de révolutionner la consommation du 7ème art. Ils comportent en effet de nombreux avantages : ils facilitent l’accès à la culture, permettent de passer à travers la crise (voire d’en profiter), de s’affranchir des contraintes géographiques et de proposer du contenu diversifié à moindre coût. Les plateformes de streaming ne semblent a priori pas déranger les distributeurs puisque la très grande majorité de leurs films a déjà été diffusée en salle. De plus, la démocratisation de ces services dissuade les personnes de se rendre sur des sites illégaux, évitant ainsi que les studios et acteurs du cinéma perdent une partie de leurs revenus. Ainsi, selon une étude menée par Hadopi, 70% des personnes interrogées sont d’accord pour dire que leur consommation illégale de films ou de série a drastiquement diminué voire même cessé depuis leur souscription à un service légal.
Toutefois, la crise sanitaire et les confinements qui en découlent ont accéléré la mutation du secteur cinématographique, donnant naissance à une tendance qui pourrait bien faire disparaître la manière dont nous consommons les films. La décision de Warner Bros, citée en introduction, aurait selon le magazine Variety, changé les règles du jeu et ouvert la boîte de Pandore. Les salles sont en effet au bord du gouffre, et alors que la crise sanitaire est déjà bien assez dévastatrice pour ces dernières, la digitalisation de l’offre et l’évolution du secteur nourrissent leurs inquiétudes. Disney a par exemple fait le choix de sortir le film Mulan exclusivement sur Disney+. Bien que cela puisse paraître temporaire, les acteurs du secteur ont peur d’assister à un enracinement de ces pratiques, qui pourraient devenir les nouvelles habitudes de consommation, où le streaming ferait progressivement disparaitre les salles de cinéma. Et pour cause, les plateformes de streaming permettent d’accéder à un large panel de films à un prix très attractif en comparaison aux places de cinémas. Et pour les studios, la tentation est grande, car en passant par les services de streaming, ils économisent ainsi les frais de promotion dans les salles et attirent de nouveaux clients en générant de nouveaux abonnements, pour peu qu’ils aient créé leur propre plateforme, comme l’a fait Disney. Le véritable danger n’est donc pas le streaming en lui-même, mais plutôt la tentation des studios de prioriser les sites de streaming aux salles de cinéma. Un autre risque pourrait être que les réalisateurs se tournent désormais vers ces entreprises, devenues des sociétés de production titanesques, comme Netflix qui a récemment accordé 1 milliard de dollars d’investissements supplémentaires pour ses studios, et qui a financé le dernier film de Martin Scorsese, n’ayant pas vu le jour en salle.
Le secteur étant en train d’évoluer, il est nécessaire d’apporter des solutions flexibles et adaptées. La Ministre de la Culture Roselyne Bachelot a par exemple affirmé en décembre dernier être parvenue à un accord entre les plateformes de streaming qui devraient verser entre 20 et 25% de leur chiffre d’affaires réalisé en France dans le préfinancement de productions françaises. D’un autre côté, Universal a négocié un contrat avec AMC l’année dernière qui précise que les films du studio sortiront en VOD 17 jours après leur diffusion dans les salles. Mais ces décisions risquent de ne pas être adaptées à certains pays et n’empêcheront pas le fléau du piratage en ligne.
Le Streaming illégal :
La croissance exponentielle des services de streaming a aussi profité aux sites illégaux : tandis que le piratage des films en salles est peu attractif tant les copies sont d’une qualité médiocre, les versions en streaming sont beaucoup plus faciles à enregistrer et à diffuser sur les plateformes illégales, avec une qualité presque conforme à l’originale. Les salles de cinéma françaises pourraient pâtir de la diffusion exclusive des films sur les plateformes de streaming américaines. La France est en plus de cela le pays qui consomme illégalement le plus grand nombre de films d’Europe avec pas moins de 10,5 milliards de visites sur des sites de téléchargements ou de streaming illégaux en 2017 selon l’entreprise MUSO, spécialisée dans la lutte contre le piratage. Le streaming illégal, en plus de représenter un manque à gagner considérable, peine à être éradiqué par les autorités. Cependant, une baisse de 20% du trafic sur les sites pirates a pu être constatée ces dernières années, notamment grâce aux navigateurs et sites de recherches comme Google qui se démènent pour les déréférencer.

Source : Digital TV Research
Conclusion:
Le secteur cinématographique traverse donc une période particulièrement délicate du fait de la crise sanitaire qui a considérablement accéléré la mutation de ce dernier. Les salles de cinéma se situent dans une incertitude totale et les nouvelles manières de consommer alimentent leurs préoccupations. Le streaming, quant à lui, est sujet à débats et peut représenter une menace pour les salles si une coopération entre les acteurs du secteur n’est pas rigoureusement mise en place. L’expérience du cinéma telle que nous la connaissons aujourd’hui risque de changer, mais une cohabitation harmonieuse mélangeant les plateformes de streaming et l’industrie cinématographique reste à espérer.
Mathis DEBLOCK